Interview Olivier Babeau 2022

Économiste et Président de l’Institut Sapiens | 37 MIN

Baromètre 2022 - interview Olivier Babeau

"Une planification écologique intelligente consiste davantage à évaluer les impacts, à comprendre les interdépendances, à fixer des objectifs mais en laissant chaque territoire, avec ses caractéristiques et ses atouts, adopter la meilleure façon d’y parvenir."

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Retranscription

Cevan Torossian : Crise géopolitique, crise énergétique, inflation, urgence climatique, les sujets d’inquiétudes ne manquent pas en 2022. Dans ce contexte difficile, que vous inspire l’état actuel de l’économie française ?

Olivier Babeau : Une partie des problèmes de la France résulte de dérives qui ont commencé il y a 30 ou 40 ans et qui se traduisent notamment par l’augmentation des importations, conséquence de notre déficit de compétitivité qui s’est accentué ces dernières années. Mais aujourd’hui, nous sommes confrontés à des problèmes exogènes, comme le prix de l’énergie et la faiblesse de l’euro qui produisent une inflation importée contre laquelle il est difficile de lutter. Cette inflation est très préjudiciable pour les classes les plus défavorisées et peut conduire à une explosion sociale. Or, la France, avec ses 3 000 milliards d’euros de dettes, n’a pas de marge de manœuvre sur le plan budgétaire.

Cevan Torossian : L’atteinte de la neutralité carbone à horizon 2050 oblige les villes à repenser les déplacements pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Comment se déplacera-t-on dans la ville de demain selon vous ?

Olivier Babeau : L’écologie est le cimetière des idées simples. Si vous prenez l’exemple d’un moyen de transport, il faut regarder ses émissions de gaz à effet de serre sur l’intégralité du cycle, de la production du véhicule à son utilisation. Dans l’état actuel des technologies, aucun moyen de transport n’apporte de solution vraiment satisfaisante, y compris la voiture électrique. Pourtant, le sens de l’histoire n’est pas de moins se déplacer mais de rechercher des technologies nouvelles moins polluantes (projet Iter par exemple). En attendant, en matière de mobilité urbaine, il faut surtout faciliter l’intermodalité, c’est-à-dire l’utilisation de plusieurs modes de transport au cours d’un même déplacement. L’enjeu est de parvenir à adapter le moyen de transport à la distance parcourue. En France, nos grandes villes sont à taille humaine et offrent des alternatives à la voiture pour se déplacer, à commencer par le tramway ou le métro. Toutefois, cette intermodalité doit être pensée en fonction des âges de la vie et pas seulement pour les urbains sans enfants et en bonne santé ! La ville doit être adaptée à tous.

« L’attrait pour les centres-villes, la ville du quart d’heure, n’a pas diminué malgré la crise sanitaire. »

Cevan Torossian : La loi Climat et Résilience vise notamment à lutter contre l’étalement urbain en limitant fortement l’artificialisation des sols – « objectif Zéro Artificialisation Nette – ZAN » en 2050. Cette mesure va-telle dans le bon sens ?

Olivier Babeau : Cet objectif de parvenir au « Zéro Artificialisation Nette » pose question. L’artificialisation des sols n’est pas le pire problème rencontré en France. Même un parc dans une ville compte comme un espace artificialisé, au même titre qu’un parking ! Il faut en revanche penser la ville de demain pour la rendre plus vivable. Car contrairement à ce qui a été cru au lendemain de la pandémie, l’attrait pour les centres-villes, la ville du « quart d’heure », n’a pas diminué même si de nouvelles aspirations se dessinent. Mais l’étalement subi de la ville est très discriminant socialement pour ceux qui n’ont pas les moyens de vivre près du cœur des métropoles où se trouvent les emplois.

Cevan Torossian : Notre baromètre 2022 - Résilience des métropoles et transition des territoires - recense de nombreuses initiatives prises par les collectivités locales pour répondre au défi climatique. Cette démarche « bottom-up » est-elle pertinente pour répondre à un défi planétaire ?

Olivier Babeau : Je trouve ces initiatives locales très encourageantes. Imaginer que l’on peut faire la même chose partout et pour tout le monde n’est pas la bonne méthode. Une planification écologique intelligente consiste davantage à évaluer les impacts, à comprendre les interdépendances, à fixer des objectifs mais en laissant chaque territoire, avec ses caractéristiques et ses atouts, adopter la meilleure façon d’y parvenir. Dans un autre registre, j’aimerais mettre en avant l’effort des élus locaux les plus au fait de la réalité économique, qui parviennent à mettre en place des initiatives intelligentes - à l’instar d’Invest In Reims par exemple - et qui sont créatrices d’emplois. Mais tous les territoires n’offrent pas les mêmes avantages et de telles démarches prennent du temps.

Cevan Torossian : Quoi qu’il en soit, des dizaines de milliards d’euros vont être nécessaires pour verdir le bâti existant partout en France, avec des coûts qui seront en partie supportés par les propriétaires et répercutés également sur les locataires au travers de hausses de loyers. Ces nouvelles contraintes seront-elles soutenables pour les ménages ?

Olivier Babeau : Nous allons vers un renchérissement très important des prix immobiliers, à l’achat comme à la location. Alors que la population continue de s’accroître, la contrainte écologique de même que l’objectif ZAN vont accentuer la rareté des biens immobiliers disponibles, et entraîner une progression significative des coûts de construction et de rénovation. Les prix des matériaux verts explosent, la main d’œuvre est de plus en plus difficile à trouver. L’isolation va s’avérer très difficile à financer. Dans un pays composé à 60 % de propriétaires, cette loi pourrait retirer plusieurs millions de logements du marché de la location.

« Une planification écologique intelligente consiste (…) à fixer des objectifs mais en laissant chaque territoire adopter la meilleure façon d’y parvenir. »

Cevan Torossian : Avec l’essor du télétravail, les entreprises sont incitées à diminuer la surface des bureaux dans les métropoles. Assistera-t-on un jour à la disparition du bureau dans le fonctionnement de l’entreprise ?

Olivier Babeau : Effectivement, les entreprises cherchent à minimiser leurs coûts, et ce plus encore dans un contexte d’augmentation de la facture énergétique, et réfléchissent ainsi à leur réorganisation. Avec le développement du télétravail, certaines d’entre elles font le choix de réduire leur empreinte immobilière. La rationalisation de l’espace incite également à mutualiser les bureaux entre plusieurs entreprises, à faire de ceuxci des lieux de rencontre davantage que des espaces cloisonnés. Pour les salariés, observons que le télétravail conduit à une porosité plus grande entre la vie privée et la vie professionnelle. Mais n’oublions pas que ce phénomène ne concerne que les emplois tertiaires. En outre, si le télétravail permet d’obtenir une meilleure productivité, le bureau offre cette co-présence physique indispensable entre collaborateurs pour créer des conditions de travail plus épanouissantes.

Cevan Torossian : Si les métropoles ont symbolisé le dynamisme économique pendant de longues années, la crise sanitaire et l’essor du télétravail offrent aux villes moyennes un nouvel attrait, attirant des ménages qui souhaitent vivre et travailler loin des métropoles. Est-ce un phénomène durable qui oblige à repenser l’aménagement des territoires ?

Olivier Babeau : La grande ville continue d’être l’endroit le plus attractif mais je pense qu’une large partie de la population souhaite retrouver trois « luxes » fondamentaux. Tout d’abord, le temps pour soi et ses proches. Ensuite, l’espace pour s’épanouir. Enfin, les racines pour s’inscrire durablement

dans un lieu où l’on partage des projets communs avec ses voisins. A ce titre, les contraintes posées par la vie au cœur des grandes métropoles redonnent un attrait particulier aux métropoles régionales de taille moyenne.

« Une croissance décarbonée est possible et l’Europe a pris de l’avance sur ce terrain. »

Cevan Torossian : Dans ce nouveau monde qui se dessine, l’innovation sera-t-elle plus forte que la décroissance pour assurer la transition écologique ? Quel regard portez-vous sur le verdissement de l’économie et la montée en puissance des filières de développement durable dans les territoires ?

Olivier Babeau : Je crois profondément que l’innovation est la solution. Ne serait-ce que pour continuer à profiter d’un certain confort et ne pas faire un grand bond en arrière. La croissance permet de financer les innovations dont nous profitons tous. L’Homme essaie de vivre mieux, c’est le sens de l’histoire, et les progrès de la médecine depuis 100 ans sont là pour en témoigner. Bien entendu, ceux qui ont pris de l’avance ont davantage pollué que les autres. Mais nous n’avons pas d’autre solution que de continuer à générer de la croissance tout en réduisant l’impact environnemental de cette nouvelle prospérité. Or, une croissance décarbonée est possible et l’Europe a pris de l’avance sur ce terrain grâce à une réglementation plus ambitieuse qu’ailleurs. Nous devons créer un modèle d’économie circulaire, utilisant des technologies moins intensives en consommation de matières premières. Il n’y a pas une solution mais une myriade de projets à mettre en place. Cette nouvelle croissance peut générer de nombreux emplois.

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