Le marché des entrepôts frigorifiques, longtemps réservé à quelques spécialistes, arrive à un tournant. Entre parc vieillissant, demande croissante et pression énergétique, il doit se moderniser. Automatisation et transition environnementale pourraient en faire une nouvelle classe d’actifs attractive pour les investisseurs.
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Difficile de chiffrer exactement le nombre d'entrepôts frigorifiques en France. Alors que le rapport d'activité 2024-2025 de La Chaîne logistique du froid indique compter 500 entrepôts et plateformes transport ou logistique au sein de son association, le code NAF 52.10A (entreposage et stockage frigorifique) recense plus de 700 établissements spécialisés en France (selon la plateforme d’agrégation de données d’entreprises, Datapult.ai). Le site d'étude de marché madein.fr souligne de son côté que les plateformes frigorifiques représentent environ 8 % du chiffre d’affaires du marché de l’entreposage (frigorifique et non frigorifique). « Que ce soit en froid positif ou négatif, le marché immobilier demeure faible car les investisseurs ne se sont jamais mobilisés sur cette classe d’actifs. Aujourd’hui ce sont les utilisateurs qui forcent les acteurs du marché à redévelopper cette typologie d’immeuble, car cette activité spécifique, longtemps dominée par des spécialistes du froid, comme le 3PL Stef, qui construisent eux-mêmes leurs plateformes, ne suffit pas à répondre à une demande de plus en plus soutenue », souligne Didier Terrier, directeur général associé d’Arthur Loyd Logistique.
Historiquement, les grands donneurs d’ordre du secteur – grande distribution, grossistes spécialisés, logisticiens – ont en effet préféré posséder leurs propres plateformes. Résultat : le parc disponible à la location est aujourd'hui vieillissant, et se retrouve face aux nouveaux enjeux énergétiques et d'innovations techniques. Tout en occupant une place clé dans la filière de l'agroalimentaire, ce secteur demande de lourds investissements en termes d'équipements et de consommation énergétique. Pour les grands propriétaires logistiques, s’ils offrent une certaine stabilité grâce à des engagements locatifs de long terme, le poids des entrepôts froids demeure donc encore marginal dans l’activité globale, comme le rappelle Guilhem Donnarieix, directeur commercial chez Argan : « Sur un patrimoine total de 4 millions de mètres carrés, les entrepôts accueillant du froid n’occupent chez nous qu’une place limitée, autour de 10 % . Et seulement la moitié concerne du froid pur (positif et négatif), l’autre moitié restant intervenant dans des entrepôts mixtes mêlant zones ambiantes et froides. » La foncière a néanmoins développé récemment plusieurs projets emblématiques – comme l'extension fin 2023 du site du fabricant de produits laitiers Eurial à La Crèche (79), désormais porté à 24 000 m² en froid négatif et positif, ou encore, en 2024, la livraison d'un bâtiment logistique de 14 500 m² pour le distributeur en boulangerie-pâtisserie Back Europ à Saint-Jean-sur-Veyle (01), suivi, sur le même site d'un entrepôt tri-température de 31 000 m² pour U Proximité France (UPF)– mais ces opérations restent ponctuelles, rappelle Guilhem Donnarieix.
Pour autant, entre 2017 et 2024, le chiffre d'affaires du secteur frigorifique enregistre une progression de +39,4 %, selon le site madein.fr qui s'attend à voir cette filière continuer à progresser « avec l’essor du e-commerce alimentaire et le développement d’entrepôts XXL qui permettent une mutualisation dans une logique de réduction des coûts ». Se penchant sur l'avenir du marché de l'entreposage frigorifique en Europe, dans un rapport publié en avril 2025, le cabinet de conseil OC&C Strategy Consultants indique pour sa part que la demande d’espaces frigorifiques externalisés devrait croître de l’ordre de 5 à 6 % par an, stimulée par l’essor des produits surgelés, l’externalisation des producteurs et les dynamiques géographiques. « Entre un parc vieillissant, une demande plus soutenue des industriels de la grande distribution et la volonté des prestataires logistiques de se positionner sur ce secteur, un mouvement est palpable », observe Didier Terrier. Longtemps chasse gardée d'acteurs comme Stef, Pomona ou encore Transgourmet, la filière pourrait donc s'ouvrir à de nouveaux entrants.
Dans ce contexte, l'automatisation devrait jouer un rôle d'accélérateur. De plus en plus adoptée dans les entrepôts secs, elle s’étend désormais au secteur du froid, où les contraintes sont encore plus fortes : rareté de la main-d’œuvre, pénibilité accrue dans un environnement extrême et poids de l’énergie, qui peut représenter 30 à 40 % des coûts d’exploitation. Pour réduire cette facture énergétique, certaines innovations émergent, aptes à venir modifier la structure des entrepôts frigorifiques : pallet shuttles multi-niveaux, mécanisation en hauteur, zones de stockage isolées des opérateurs pour améliorer les conditions de travail… Pour autant le défi reste de taille : moderniser un parc obsolète et convaincre investisseurs et promoteurs de s’engager sur ce segment spécifique, coûteux mais porteur.
Un défi auquel vient s’ajouter l'impact du réchauffement climatique. Les périodes de canicule contribuant à accentuer les écarts thermiques entre l’extérieur et l’intérieur des entrepôts, conduisent à accroître les besoins énergétiques de maintien sous température dirigée. Ces sollicitations renforcées peuvent entraîner une hausse des coûts d’exploitation et une usure plus rapide des installations. Ce phénomène se double des enjeux environnementaux liés aux fluides frigorigènes : sous l’effet des réglementations européennes, la filière doit progressivement abandonner les gaz à fort pouvoir réchauffant pour adopter des solutions plus respectueuses de l’environnement. La nouvelle réglementation F-Gas III (entrée en vigueur en mars 2024) vient ainsi directement impacter la conception des entrepôts frigorifiques. En limitant les gaz à fort pouvoir réchauffant, F-Gas III devrait conduire à investir dans des équipements plus performants et plus durables. Un ensemble de critères renforçant l'idée que les nouveaux entrepôts frigorifiques doivent être pensés “bas carbone”, intégrant photovoltaïque, récupération de la chaleur, etc.
Le marché des entrepôts frigorifiques entre ainsi dans une phase charnière : la modernisation d’un parc ancien, la demande croissante des chargeurs de la grande distribution et de l’e-commerce alimentaire, ainsi que l’essor de l’automatisation pourraient ouvrir la voie à un intérêt renforcé des prestataires logistiques et des investisseurs pour cette classe d’actifs.
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